Le concept de crime contre l’humanité est un concept ancien, mais il apparaît pour la première fois en tant que notion proprement juridique en 1945 dans le statut du Tribunal militaire international de Nuremberg (art.6, c). Cette apparition est la conséquence de la volonté de juger les responsables des atrocités exceptionnelles commises pendant la Seconde Guerre mondiale (la Shoah avant tout). Le concept est donc fortement ancré dans un contexte historique particulier.
Il appartient pourtant aujourd'hui aux concepts fondamentaux du droit. Cristallisant de nombreuses passions, la définition de cette qualification ne s’est faite que lentement au cours des quarante dernières années.
Aujourd'hui, le crime contre l’humanité est devenu un chef d’inculpation beaucoup plus large et mieux défini grâce à l’article 7 du statut de Rome de la Cour pénale internationale, mais il demeure sujet à controverses.
Une définition complète et détaillée par l’article 7 du Statut de Rome
L'article 7 définit onze actes constitutifs de crimes contre l'humanité, lorsqu’ils sont commis « dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute population civile et en connaissance de l'attaque » :
meurtre ;
extermination ;
réduction en esclavage ;
déportation ou transfert forcé de population ;
emprisonnement […] ;
torture, viol, esclavage sexuel […] ;
persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre racial, religieux […] ;
disparitions forcées de personnes ;
crime d’apartheid ;
autres actes inhumains
Chaque terme est ensuite redéfini plus en détail, comme les termes extermination, déportation, etc. La notion de crime contre l'humanité est définitivement extraite de son contexte initial et définie rigoureusement.
A la lumière de l’article 7 et des textes qui le précèdent, trois grands principes de droit international peuvent être dégagés qui régissent le crime contre l’humanité : il peut être commis en tout temps (en temps de guerre extérieure ou intérieure comme en temps de paix) ; il est imprescriptible ; personne ne peut échapper à la répression, des chefs de l’État aux exécutants (article 27 du Statut). On notera que le crime contre l'humanité consacre donc une certaine primauté du droit international sur le droit national par sa nature même, puisqu'il peut s’agir aussi bien d’agissements légaux qu'illégaux dans le pays concerné. Ce qui peut être déclaré légal par un certain régime peut devenir illégal compte tenu de la législation de la justice pénale internationale.
La question se pose aussi de la pertinence de la loi française de 1994 sur les crimes contre l’humanité maintenant que l’article 7 apporte sa propre définition. En effet, la définition française est beaucoup moins large et moins précise que celle de l'article 7. Or pour ne pas se voir dessaisis au profit de la CPI, les États Parties doivent s’assurer que leur législation nationale leur permet bien de juger les individus ayant commis des infractions relevant de la compétence de la Cour. Il est probable que la France va intégrer les définitions
Des controverses persistantes
L'article 7 du statut de la CPI se termine par une définition ouverte, qui qualifie de crime contre l'humanité « tout acte inhumain de caractère analogue [à ceux énoncés précédemment] causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale ». Alors que les définitions précédentes sont très précises, cette dernière invite à l'élargissement d'une notion qui a déjà été définie difficilement en termes juridiques.
Plusieurs juristes considèrent que la définition du crime contre l'humanité fait donc une entorse au principe de spécificité de la loi. Ce serait ainsi dénaturer la spécificité de l’infraction que de vouloir l’étendre à un trop grand nombre de conduites criminelles. Le crime contre l'humanité s’applique en effet à des faits réprimés sous d’autres qualifications beaucoup plus anciennes : meurtre, torture, viol, déportation. La dilution du concept constitue un risque évident. La spécificité des crimes contre l’humanité ne peut être protégée par exemple qu’en exigeant une intention discriminatoire pour tous ces crimes, alors que seules les persécutions sont soumises à une telle exigence en droit international positif. Cette conception conduit à remettre en question la qualification comme « crime contre l'humanité » de certains actes, tels que les attaques « aveugles », les expulsions et transferts forcés de population, etc.
Il faut également qu’il s’agisse de crimes commis en exécution d’une politique étatique dont il faut prouver qu’elle était criminelle (la Cour de cassation l’avait bien compris en exigeant que les crimes contre l’humanité le soient « au nom d’un État pratiquant une politique d’hégémonie idéologique ». Il ne faudrait pas que tout comportement criminel étatique puisse être qualifié à la légère de crime contre l’humanité.
Ces choix relèveront de la jurisprudence dégagée de la Cour pénale internationale, mais il est à noter une certaine dérive des tribunaux pénaux internationaux, qui ont tendance à privilégier l’efficacité de la répression sur la cohérence de l’incrimination.